Année liturgique de Dom Guéranger
Source: bibliotheque-monastique.ch
Ferdinand III, roi de Castille et de Léon, à qui depuis quatre siècles l’accord des ecclésiastiques et des séculiers a attribué le nom de Saint, donna, dès son adolescence, de si grandes preuves de sagesse, que Bérengère, reine de Castille, sa mère, qui l’avait élevé très saintement, abdiqua la royauté pour la lui remettre entre les mains. A peine Ferdinand fut-il entré dans les soins du gouvernement, que l’on vit briller en lui les vertus d’un roi : la magnanimité, la clémence, la justice, et par-dessus tout le zèle de la foi catholique, dont il sut défendre et propager la pratique religieuse avec ardeur. Il montra ce zèle principalement en poursuivant les hérétiques, auxquels il ne permit jamais d’habiter dans ses royaumes. Il le fit voir encore en érigeant, dotant et consacrant au culte chrétien les églises de Cordoue, Jaén, Séville, et autres villes arrachées par lui au joug des Maures. Il rétablit avec une pieuse et royale munificence les cathédrales de Tolède, de Burgos, et plusieurs autres.
En même temps, dans le royaume de Castille et de Léon, où il avait succédé à Alphonse son père, il réunit de fortes armées, et entreprit chaque année des expéditions contre les Sarrasins, ennemis du nom chrétien. Le plus puissant moyen de ce pieux roi pour s’assurer constamment la victoire fut dans les prières qu’il adressait à Dieu, dont il s’assurait le secours en flagellant sévèrement son corps avant la bataille, et se couvrant d’un rude cilice. Ce fut ainsi qu’il remporta d’insignes victoires contre les puissantes armées des Maures, et qu’il restitua au culte chrétien et à l’Espagne des villes nombreuses, ayant conquis les royaumes de Jaën, Cordoue et Murcie, en même temps qu’il rendit tributaire celui de Grenade. Il amena ses étendards victorieux devant Séville, capitale de la Bétique, après une vision dans laquelle on rapporte que saint Isidore, autrefois évêque de cette ville, lui en avait donné le conseil. Les historiens racontent aussi qu’il fut assisté du secours divin dans ce siège, en la manière suivante. Les Mahométans avaient tendu sur le Guadalquivir une chaîne de fer qui barrait le passage. Un vent violent s’éleva tout à coup, et l’un des navires royaux lancé par l’ordre du prince alla briser cette chaîne avec une telle violence qu’il fut entraîné plus loin, et alla rompre un Sont de bateaux dont la ruine enleva l’espoir aux laures, et amena la reddition de la place.
Ferdinand a attribué toutes ces victoires au patronage de la bienheureuse Vierge Marie, dont il avait toujours dans son camp l’image qu’il honorait d’un culte spécial. Ayant pris Se ville, son premier soin fut de songer au culte divin. Il fit purifier tout aussitôt la mosquée des Sarrasins, et la dédia au service religieux des chrétiens, l’ayant pourvue avec une royale et pieuse libéralité d’un siège archiépiscopal richement doté et d’un collège de chanoines et de dignités convenablement établis. Il érigea encore d’autres églises et plusieurs monastères dans cette ville. Au milieu de ces actes de piété, il se préparait à passer en Afrique pour y anéantir la puissance musulmane , lorsqu’il se vit appelé au royaume du ciel. Etant arrivé à ses derniers moments, il adora la corde au cou, prosterné par terre, avec d’abondantes larmes, la sainte Eucharistie qu’on lui apportait pour viatique.
Ayant reçu le divin sacrement avec la plus humble révérence accompagnée des plus vifs témoignages de son attachement à la foi catholique, il s’endormit dans le Seigneur. Son corps, demeuré sans corruption depuis six siècles, repose dans la cathédrale de Séville, où il est renfermé dans un tombeau de la plus rare magnificence.
Vous avez délivré votre peuple du joug de l’infidèle, ô Ferdinand, imitant le divin ressuscité qui nous a affranchis de la mort du péché et rendus à la vie que nous avions perdue. Vos conquêtes n’ont point ressemblé à celles des conquérants profanes, qui n’ont d’autre but que de satisfaire leur orgueil et celui de leurs peuples. Vous veniez délivrer vos frères opprimés et courbés depuis des siècles sous un joug odieux. Vous veniez, les arracher aux périls de séduction qu’ils couraient dans un esclavage séculaire. Champion du Christ, c’est pour lui d’abord que vous forciez les remparts des cités sarrasines. Son étendard était le vôtre, et vous cherchiez avant tout à étendre son royaume. En retour, il daigna vous bénir en tous vos combats, et votre épée sortit toujours victorieuse.
Votre mission, ô Ferdinand, fut de préparer au Seigneur un peuple que la sainte Eglise a honoré entre tous les autres, en lui décernant le beau nom de Catholique. Heureuse Espagne, qui à force de persévérance et de courage a su briser le joug musulman, que les peuples qui l’ont subi gardent toujours ! Heureuse Espagne, qui a repoussé avec succès l’invasion de la prétendue Réforme au XVI° siècle, ayant ainsi conservé l’antique foi qui sauve les âmes, et est en même temps le plus fort lien de la patrie ! Priez pour votre peuple, ô Ferdinand ! Des doctrines perverses circulent dans son sein, des influences perfides cherchent à l’égarer, et beaucoup d’âmes sont séduites. Ne souffrez pas qu’il sacrifie jamais par d’imprudentes et lâches concessions ce dépôt de foi qu’il a su maintenir intact durant tant de siècles. Combattez les machinations ténébreuses par lesquelles les méchants cherchent à le lui enlever. Maintenez en lui l’horreur qu’il a si longtemps ressentie pour l’hérésie, et que rien ne le fasse déchoir du rang qu’il a conquis entre les peuples fidèles. L’unité de croyance et de culte peut le sauver encore, le retenir sur le bord de l’abîme où tant de nations ont sombré; saint roi, sauvez encore une fois le royaume que Dieu vous avait confié, et que vous remettiez entre ses mains avec une si humble reconnaissance, au moment où vous alliez échanger la couronne de la terre contre celle du ciel. Vous êtes resté son protecteur aimé; hâtez-vous de le secourir.